Projet de loi justice 2018-2022 : dématérialisation des injonctions de payer
Dans la rubrique Actualité du crédit
Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de la réforme pour la Justice présenté fin avril en Conseil des Ministres par Mme Belloubet vise à offrir une Justice plus rapide, plus efficace et plus moderne au service des justiciables. Le thème du numérique prend une part importante avec notamment la création d’une (nouvelle ?) juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer.
Créer une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer
La procédure d’injonction de payer permet à un créancier de saisir une juridiction par voie de requête (par opposition à l’assignation) afin d’obtenir une décision de justice enjoignant au débiteur de verser les sommes dues. Cette procédure se déroule sans audience. Concrètement, le créancier adresse un dossier au juge qui apprécie le bien-fondé de la demande. Si le débiteur conteste la décision dans le mois suivant la signification de l’ordonnance par un huissier de justice, les parties sont convoquées devant le juge pour un « débat contradictoire ».
Près de 500 000 requêtes en injonction de payer sont délivrées chaque année devant la juridiction civile des TI et TGI. Il n’y a d’opposition que dans 4 % des cas. Actuellement, ces requêtes sont traitées dans 307 juridictions différentes sous forme de dossiers papier avec des pratiques très diverses d’un tribunal à un autre.
Le projet de loi prévoit d’assurer un traitement dématérialisé de ces requêtes dans un seul tribunal compétent pour l’ensemble du territoire national ! Les créanciers adresseront leur dossier par voie numérique. La juridiction nationale assurera un traitement centralisé et uniforme de ces requêtes. En cas d’opposition sur le bien-fondé de la créance, les audiences continueront à se tenir dans le tribunal du domicile du défendeur, sauf dans le cas d’oppositions tendant à l’octroi d’un délai de paiement qui seront traitées également par voie dématérialisée et sans audience !
Accélérer les délais de traitement
Cette nouvelle disposition de l’ordre judiciaire est de nature à accélérer les décisions rendues lorsqu’il n’y a pas de contestations sérieuses. C’est le principe même des requêtes en Injonctions de payer. Destinée à régler les « petits » litiges, cette procédure est introduite devant les TI et TGI lorsque le débiteur est un particulier ou le TC lorsqu’il s’agit d’une créance commerciale.
Le projet de loi ne concernerait que les créances civiles (TI et TGI) étant donné que la dématérialisation existe déjà pour les Tribunaux de Commerce. Et il est vrai que la différence dans le traitement des requêtes en IP par les greffiers entre la juridiction civile et commerciale est pour le moins frappante. Si un délai moyen de 15 jours est observé pour délivrer une ordonnance de paiement dans le cadre d’une créance commerciale (Tribunal de commerce), plusieurs mois sont généralement nécessaires lorsqu’il s’agit d’attendre la décision d’un Tribunal d’Instance.
Permettre à ces juridictions civiles d’améliorer le traitement de ces demandes serait donc pour les justiciables un gage de transparence, de rapidité et d’efficacité.
Des questions restent en suspens
« Comment un justiciable fera-t-il s’il ne maîtrise pas la procédure numérique ? ». Une question dont se fait justement l’écho le rapport 2017 rendu par le défenseur des droits. Un document qui met en garde contre « la numérisation des services publics », creusant les inégalités, et pouvant constituer « une énorme difficulté pour les personnes vulnérables », à l’heure où « 33 % des personnes déclarent être peu à l’aise avec internet » (v. Dalloz actualité, 16 avr. 2018, art. T. Coustet).
Par ailleurs, se pose également le problème d’une double opposition à une même ordonnance, opposition d’une part sur le fondement de la créance mais également sur l’octroi d’un délai de paiement. Vers quelle juridiction renvoyer l’affaire si la nouvelle loi distingue ces 2 cas (juridiction du lieu du défenseur avec débat contradictoire pour le 1er cas ou nouveau TGI sans audience pour l’octroi d’un délai de paiement) ?
Enfin, espérons que cette nouvelle procédure soit ouverte à l’ensemble des professionnels du droit, et notamment les cabinets de recouvrement de créances, activité prépondérante dans la lutte contre les retards de paiement et plus généralement les impayés… Promulgation à suivre !
Philippe Bernis (Direct Recouvrement)
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